lundi 26 janvier 2009

Chapitre 5 - Partie 1

Chapitre 5 : Kwoaaa !!!
Partie 1


Serge n’avait pas souvent quitté Altéa. C’était là qu’il était né et il n’avait jamais ressenti le besoin de s’extraire de cette ville qui hébergeait tous ses souvenirs. Peut-être aussi parce qu’il sentait que ses parents ne voulaient pas le voir partir. Il voyageait, certes, mais seulement par l’intermédiaire de ses livres et de ses magazines. Il avait déjà pris le monorail pour se rendre à Ozarie une fois, avec ses parents, alors qu’il n’avait que neuf centycles. Ils devaient assister à une conférence pour leur travail et lui avaient proposé de les accompagner. A l’époque, il avait sauté de joie, non pas parce qu’il allait voir un nouvel endroit, mais parce qu’il n’était jamais monté à bord de ce long tube de métal et de bois. Il était déjà allé l’admirer sur le quai, mais n’avait jamais vu l’intérieur si ce n’était sur les quelques photos qu’il avait découvertes dans un ancien numéro de "Science et Progrès". Il y avait lu qu’il avait fallu près d’un centycle pour le mettre en service et qu’il avait été inauguré en 1157. Cela faisait désormais plus de 80 centycles qu’il glissait silencieusement le long de son unique rail d’acier qui serpentait à travers la forêt.

Il se rappelait encore du voyage. Son frère était venu lui aussi, et du haut de ses six centycles, il était resté cloué à la vitre tout le long du trajet, dévorant le paysage des yeux. Même si les arbres ne présentaient que peu d’intérêt, Xavier essayait de repérer les animaux et tirait sur la manche de Clara, sa mère, dès qu’il croyait avoir vu une biche ou un lapin. Serge, quant à lui, tannait son père, Evan, pour qu’il l’emmène voir la salle des machines. Au bout d’un moment, celui-ci avait cédé et était allé chercher une hôtesse pour qu’elle les y accompagne. Elle n’avait pas tout de suite accepté, mais en voyant les yeux brillants d’espoirs de l’enfant, elle avait demandé l’autorisation aux techniciens qui n’y virent aucune objection. Son père l’avait alors laissé aux mains de la jeune femme qui l’avait conduit dans la salle en question. A l’instant où la porte fut poussée, le jeune garçon n’avait pu retenir un petit cri d’émerveillement.

Devant lui se trouvaient les grands tubes en verre qu’il avait vus dans l’article de son magazine. Il y en avait huit, regroupés deux-à-deux à chaque coin de la pièce. Serge reconnu très vite le mécanisme, composé d’une hélice située entre chaque couple de cylindre. A l’intérieur de ces tours de verre, du flux circulait, s’échappant de l’une, appelée l’émettrice, pour rejoindre sa jumelle, la réceptrice, exerçant au passage une pression incroyable sur les pales qui tournaient à vive allure en entraînant d’imposantes roues dentées. Un ingénieux système de poids et de balancier permettait de déplacer deux masses circulaires qui bouchaient le sommet de chacun des compartiments. Tandis que l’une des masses descendait, comprimant et poussant le flux pour l’obliger à sortir, l’autre remontait afin de créer une dépression et d’aspirer ce flux dans la réceptrice. Puis, lorsque le processus était terminé et que l’émettrice était vide, les poids étaient inversés permettant au système de fonctionner dans l’autre sens. De cette façon, la machinerie était toujours en service.

Le reste était plus simple, juste un assemblage de roues de différentes tailles qui rejoignaient le rail et qui prenaient appui dessus pour propulser le véhicule. Les freins agissaient directement sur les balanciers, ce qui retenait les poids, empêchant le flux de circuler. Le petit garçon qu’était Serge à l’époque était ébahi par tout ce qu’il voyait et même maintenant qu’il avait 18 centycles, il se rappelait encore de cette fluance là. C’était l’azura et dans son esprit, les tours de verre de la salle des machines brillaient toujours de leur bel habit bleu.


Alors qu’il marchait aux côtés d’Elian et de Christy, Serge se surprit à penser qu’il aurait bien aimé reprendre le monorail pour aller à Ozarie. Des souvenirs d’enfance qui le rattachaient à son frère, mais aussi à ses parents. La nostalgie le prit aux tripes. Au fur et à mesure qu’il s’éloignait d’Altéa, il avait l’impression qu’il avait raté quelque chose. Ces derniers temps, il en avait voulu à ses parents de se réfugier dans leur travail, prétextant qu’ils cherchaient un remède pour Xavier. Depuis que son frère était tombé malade, il ne les avait pas vus souvent et dès qu’ils se croisaient, ils ne se parlaient guère. La tension était palpable. Serge disait qu’il ne les croyait pas, qu’ils ne cherchaient rien du tout et qu’ils avaient juste peur d’affronter la réalité. Mais au fond de lui, il ne le pensait pas. C’était lui qui avait peur. Il ne savait pas pourquoi, mais il était incapable de se confier à ses parents. Il n’avait pas pris l’habitude de leur faire confiance. Son seul ami était Xavier et il n’avait jamais compté sur quelqu’un d’autre que lui pour l’aider. Mais il n’était plus là. Maintenant, il regrettait de ne pas avoir plus parlé avec son père et sa mère et se demandait comment il avait pu en arriver là. Ils lui manquaient.

Le monorail. Non. Ils n’auraient pas pu le prendre. Pourtant, ils seraient arrivés en à peine cinq luxances. Mais il se rappela de la discussion qu’il avait eue avec Christy après qu’ils soient entrés dans la forêt. Il fallait qu’ils restent cachés. Cela était d’autant plus vrai qu’ils savaient désormais qu’ils étaient recherchés.

Depuis qu’ils étaient partis le matin même, ils n’avaient rencontré personne d’autre. Ils se permettaient même de discuter, Elian gardant les oreilles dressées, attentive au moindre bruit. Mais mis à part leurs propres pas et le piaillement occasionnel des oiseaux, il n’y avait rien à signaler. Etait-ce normal ? Serge se demanda s’ils n’auraient pas déjà dû croiser un sanglier ou un quelconque gibier. En effet, cette forêt était un terrain de chasse reconnu et était censée abriter les futures victuailles exposées sur les étals du marché d’Altéa. Faisaient-ils trop de bruit ? S’enfuyaient-ils tous sur leur passage ? Si la veille il pouvait se dire qu’ils étaient encore trop près de la lisière, ils étaient maintenant en plein cœur du bois et cette absence de faune devenait étrange. Après tout, neuf centycles plus tôt, son frère avait bien vu des animaux s’approcher du monorail. Ils n’étaient donc pas si effrayés par la civilisation. Après tout, cela devait être le dernier de ses soucis. A quoi bon s’inquiéter pour ça ? Il n’était pas là pour voir des bêtes sauvages mais pour retrouver son frère, toujours aux mains de cet ignoble individu.

En y réfléchissant, il comprenait mieux l’intérêt que M. Diguel lui avait porté depuis leur rencontre. C’était un nouveau professeur que Serge n’avait jamais vu auparavant. Il avait appris que cet homme travaillait chez MétaFlux et qu’il avait demandé à venir enseigner son savoir aux étudiants de la fac. Le laboratoire ayant de nombreux accords d’échanges avec l’université, ce genre de procédure était très courante et l’homme fut muté aisément. Tout cela, c’était M. Diguel lui-même qui lui avait raconté. L’enseignant s’était rapproché de son étudiant dès le premier cours, flatté par l’intérêt que le garçon portait à son enseignement. Cela faisait presque 10 fluances que son frère était dans un état proche de la mort et la rentrée scolaire s’annonçait bien morne. Il se forçait à aller en amphi mais n’écoutait rien des leçons qui lui étaient prodiguées. Et puis le cours de flux avait commencé, semblable aux autres conférences. Serge s’était réfugié au milieu de la salle, là où il était le plus à l’abri du regard de ce professeur qu’il ne connaissait pas. Il n’avait pas l’intention d’écouter. Pas lui plus qu’un autre intervenant, même s’il s’agissait de sa matière préférée. Mais quelque chose dans les paroles de ce nouvel enseignant lui avait fait quitter sa torpeur. L’homme qui se tenait devant lui avait les cheveux bruns, peut-être roux. Ils étaient coupés assez courts, dégageant bien son visage oblong, mais restaient suffisamment longs pour laisser s’exprimer les innombrables boucles de son épaisse chevelure. Il portait un complet marron et faisait face, dans une posture assurée, à l’ensemble de la classe. Le garçon se mit à l’écouter et fut très vite sous le charme. Il était vrai que de toute sa vie, Serge n’avait rencontré aucune personne aussi impliquée dans son travail, si passionnée. Il possédait des connaissances incroyables et il semblait impossible de trouver une seule question à laquelle il ne pouvait répondre. Ses compétences dans le domaine du flux n’étaient plus à prouver et dès la fin du premier cours, le jeune homme avait pris son professeur pour modèle. Il voulait, tout comme lui, devenir incollable sur cette énergie irremplaçable qui régissait tant de choses dans l’univers. Il restait tellement de mystères à résoudre à son sujet, tellement d’inconnues sur son fonctionnement que rien ne pouvait être plus motivant que de chercher des réponses à toutes les interrogations que l’on pouvait encore se poser. Mais très vite, la tristesse reprit le dessus et au bout du troisième cours, Serge recommença à sombrer dans sa torpeur. M. Diguel lui avait demandé ce qu’il lui arrivait et pour une raison étrange l’étudiant s’était confié. Jusqu’à présent, son seul confident était Xavier, mais désormais, ils ne pouvaient plus discuter tous les deux. Peut-être était-ce pour cela qu’il avait si facilement accordé sa confiance à cet homme. Il avait besoin d’un soutien qui puisse le comprendre et la passion commune qui les animait rendait la chose évidente. Il était le seul à pouvoir l’aider dans cette épreuve. Pourtant, seulement deux cycles après leur rencontre, l’homme avait révélé son vrai visage.

Il l’avait trahi. Serge comprenait à présent qu’il ne s’était jamais vraiment intéressé à lui. Son seul but était de trouver un moyen de s’approcher de son frère. Pourquoi ? Est-ce que sa maladie avait un lien avec tout cela ? Le garçon s’évertuait à chercher des réponses mais n’en trouvait aucune. La seule façon de comprendre était de le retrouver et de le faire parler. Tout comme ils attendaient des explications de la part de Lucrécia.

Les pensées de Serge étaient régulièrement entrecoupées des multiples interventions de Christy. Si la plupart n’étaient pas dignes d’intérêt et ne maintenaient pas la discussion plus de quelques nuances, l’une d’elle obligea le jeune homme à participer puisqu’elle lui demanda de quoi son frère souffrait exactement. Il était vrai qu’il ne leur avait pas dit grand-chose sur lui et les risques qu’elles prenaient pour l’aider à le retrouver méritaient qu’il leur raconte tout. Son état, les médecins qui étaient venus l’observer, les trois cycles qui s’étaient écoulés depuis la tétanisation de son corps. Il leur dit tout ce qu’il savait et au fur et à mesure de son récit, il se mit à espérer qu’Elian aurait des réponses. Malheureusement, elle fut incapable de l’aider. Rien de ce qu’il décrivait ne ressemblait aux maléfices qu’elle connaissait.

En écoutant Christy parler, Serge apprit, bien qu’elle lui ait déjà dit, qu’elle était originaire du continent d’Oriares et qu’elle était arrivée à Altéa quatre cycles plus tôt. Elle avait toujours vécu dans sa ville natale, Arates, et avait eu beaucoup de mal à convaincre ses parents qu’elle était capable de survivre loin d’eux sur un autre continent. Son père était façonneur et son atelier comptait parmi les plus réputés de sa ville. Il savait travailler tous les matériaux et leur donnait la forme qu’il voulait. Au moins un habitant sur dix possédait l’un de ses objets, que ce soit un meuble, des couverts ou des décorations diverses. Sa mère, quant à elle, aidait son mari dans l’organisation des tâches dans le magasin, prenait les commandes et gérait les comptes. La fougue avec laquelle la jeune fille parlait de l’activité de sa famille laissait peu de doute sur la véracité de ses propos, même si le garçon se demandait si elle n’enjolivait pas un peu les faits. En tout cas, elle insistait sur une chose, qui le fit sourire. C’était qu’elle tenait son physique incomparable de sa mère qui était d’une beauté éblouissante. En regardant Christy, Serge ne put s’empêcher de penser qu’elle disait vrai. Mais ce qui était sûr, c’est qu’elle n’avait pas hérité de la modestie.

Plus tard, ils se demandèrent s’il n’y avait qu’Altéa et ses environs qui avaient changé ou si Ivalice tout entier était victime de ces transformations. Mais ils n’insistèrent pas longtemps sur le sujet car cela n’avait rien de rassurant, plus particulièrement pour l’étudiante, ses parents vivant toujours de l’autre côté de l’océan.

La mi-flux approchait et le ciel se parait d’une teinte rappelant la pelure d’une orange bien mûre. Ils marchaient toujours dans cet environnement étrangement vide de faunes mais envahi par la flore lorsqu’ils entendirent des craquements au loin, accompagnés d’un cri surprenant. Serge n’avait jamais entendu ça et il tendit l’oreille pour tenter de reconnaître ce dont il pouvait s’agir. Mais il n’eut pas le temps d’écouter plus en détail, Elian s’étant déjà jetée sur lui et Christy.
- Cachez-vous !
Prenant chacun de ses deux compagnons par les épaules, elle les fit s’accroupir derrière un arbre et alla se cacher à l’abri d’un autre.
- Qu’est-ce qui se passe ? chuchota Christy en direction de la Viera.
- Taisez-vous pour le moment, vous verrez bien.
Les deux jeunes gens étaient dans une posture peu confortable, cherchant à se camoufler au mieux derrière le tronc, tenant à peine en équilibre sur leurs pieds, s’agrippant à l’écorce et aux habits de leur partenaire d’infortune.
- Ah, lâche-moi, marmonna la jeune fille. Aïe, tu me tires les cheveux !
- Oh, pardon, je n’ai pas fait exp…
- Et enlève tes mains de là tu veux, n’en profite pas !
- Euh, je… bredouilla-t-il.
- Va te chercher un autre arbre, ok.
Gêné, il allait se lever lorsque le cri se fit entendre à nouveau, beaucoup plus clair.
- Kwoaaa !!!

Serge s’immobilisa. Le bruit se fit plus évident. Des branches se brisaient sous le martellement de pas précipités. Les pas d’un animal, probablement. Ce ne pouvait pas être un homme qui poussait de tels hurlements. Puis, un autre son, plus familier celui-ci, s’ajouta aux autres. Un bourdonnement effréné se faisait de plus en plus présent. Il se rapprochait. Il n’y avait pas qu’un animal. Il y en avait au moins deux. Et l’un d’eux était l’une de ces monstrueuses abeilles qui lui avait injecté ce venin dans la joue.

- Kwoaaa !!!
Même si le garçon n’avait aucune idée de ce à quoi ressemblait la créature qui poussait ce cri, il était certain qu’il s’agissait d’un appel au secours. C’était une course poursuite qu’il entendait et qui se rapprochait de sa cachette improvisée.

- Kwoaaa !!!
L’animal n’était plus qu’à quelques mètres mais il ne le voyait toujours pas. Cependant, en écoutant le craquement des brindilles, il pouvait estimer la vitesse à laquelle il fuyait face à son agresseur et la constatation était affolante. Finalement, il n’aurait sans doute aucun mal à semer son poursuivant.

Une masse jaune déboula devant ses yeux et disparut presque aussitôt. Quatre fractances plus tard, le monstre ailé prit la même direction sans se douter de la présence des trois compagnons.
Le danger s’étant éloigné, Elian se releva et fit signe aux deux autres de la rejoindre.
- Qu’est-ce que c’était ? demanda Serge, vraiment intrigué.
- Un chocobo, lui répondit-elle simplement.
- Un chocobo ? répéta-t-il.
- Oui, un gros oiseau jaune pour faire simple. C’est l’un des plus grands sprinteurs sur Ivalice et on l’utilise couramment comme monture.
- Tu veux dire, comme un cheval ? fit Christy.
- Comment ça comme un cheval ? s’étonna la Viera.
- Ben oui, tu dis qu’ils servent de monture !
- Parce que vous utilisez les chevaux pour vous déplacer vous ?
- Oui, confirma Serge. Enfin, certaines personnes le font. Pas toi ?
- Non. Mais alors oui, c’est la même chose. Sauf que les chocobos vont bien plus vite. Il doit falloir être patient pour faire un voyage à dos de cheval.
- C’est vrai que cet animal à l’air de courir très vite ! s’emporta Christy. C’est fou, t’as vu à quelle vitesse il est passé ? C’est à peine si on l’a vu !

Mais l’enthousiasme de la jeune fille fut stoppé par un nouveau cri du chocobo, celui-ci étant bien plus inquiétant. De la douleur semblait s’échapper de ce long appel de détresse.
- C’est pas vrai, il n’a pas pu se faire avoir, il allait trop vite pour se faire rattraper par cette bestiole ! lança Serge, en réponse à ce cri déchirant.
- On ne peut pas le laisser comme ça ! s’écria Christy, il faut faire quelque chose !
Après s’être échangé un regard sans équivoque, ils s’élancèrent tous les deux dans la direction qu’avaient pris les deux créatures.
- Attendez ! C’est trop risqué ! s’écria Elian, qui n’eut pas le temps de faire le moindre geste pour les arrêter.
Voyant qu’ils ne l’écoutaient pas, elle se précipita à leur suite, n’imaginant pas une seconde de les laisser seuls.

Le parcours ne fut pas long. Le chemin qu’ils empruntaient se déboisait rapidement et ils débouchèrent finalement dans une vaste clairière. Le flux emplissait ce lieu d’une clarté bienveillante comparée à l’ambiance plus tamisée qui régnait sous le couvert de la forêt. Mais ils n’eurent pas le temps de s’attarder sur ces détails. De l’autre côté, à plus d'une centaine de mètres du petit groupe, une créature plus imposante qu’ils n’en avaient jamais vu étreignait le pauvre chocobo dans une main démesurée et s’apprêtait à le dévorer.

lundi 12 janvier 2009

Chapitre 4 - Partie 5

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Chapitre 4 : En entrant dans Mirkwood
Partie 5


- Hynn ?
- Encore ce nom…
- Hynn ! Tu m’entends ?
- C’est à moi que l’on parle ? Qui est là ?
- C’est moi, Néphraïm.
- Néphraïm ? Je ne connais pas de Néphraïm.
- C’est sans doute normal. Ta présence est faible.
- Quoi ?
- J’ai eu beaucoup de mal à te trouver. Atalette aussi d’ailleurs.
- Je ne comprends rien à ce que vous dites.
- Peu importe. Je ne sais combien de temps je vais pouvoir rester, je dois me dépêcher ! Je vais la chercher et je reviens tout de suite.
- Qui êtes-vous ?

La voix ne répondit pas à sa question. Avait-elle seulement existé ? Serge n’en était pas si sûr. Il se rendit alors compte qu’il n’avait pas ouvert les yeux durant toute cette étrange conversation. D’ailleurs, avait-il parlé ? Il ne se rappelait pas non plus avoir ouvert la bouche. Pourtant, il lui semblait bien avoir échangé quelques mots avec cet étranger. D’où venait-il ? Et surtout, où était-il maintenant et à quoi ressemblait-il ? Il écarta les paupières pour voir où il se trouvait.
Rien ne changea. Tout resta noir, intensément noir. Avait-il vraiment ouvert les yeux ? Il ne voyait même pas son propre corps, comme s’il était en plein milieu d’un vide chromatique obscur. Impossible. Cela ne pouvait exister. Il se rappela d’un article publié il y a quelques centycles par la revue scientifique de MétaFlux. Ils y expliquaient qu’il était possible d’obtenir un noir absolu en privant une zone de toute présence de flux. Mais pour réaliser une telle prouesse, aberration du monde naturel, ils avaient dû mettre en place un complexe sophistiqué dont ils ne voulaient rien dévoiler. Mais là, il se trouvait en pleine forêt. Comment une telle chose pouvait être possible ? Ses réflexions furent interrompues par une voix familière.

- Qu’est-ce que vous me voulez ? Qu’est ce qui se passe ici ? Laissez-moi tranquille !
- Calme-toi Atalette. Je ne te veux pas de mal.
- Mais vous vous trompez, je ne m’appelle pas comme ça. Mon nom est…
- Christy ? C’est toi ?
- Serge ? Où es-tu ? On n’y voit rien là dedans !
- Calmez-vous ! Il faut absolument que vous m’écoutiez !
- Qu’on se calme ! On ne sait même pas qui t’es et tu voudrais qu’on se calme ! s’emporta la voix de Christy.
- Vous… Vous connaissez Lucrécia ? demanda Serge, soudain convaincu de ce qu’il disait.
- Ah, enfin, je croyais que je ne réussirai jamais à vous faire entendre raison. Oui, bien sûr que je la connais. C’est…
- Quoi ! Comment peux-tu la connaître ? Qui es-tu à la fin ?
- Christy, si tu le laissais parler, on le saurait depuis longtemps.
- Hein ? Hey, tu vas pas te retourner contre moi pyja-gars !
- Laisse-le parler, c’est tout ce que je te demande. On ne peut rien faire d’autre dans cette situation de toute façon.
- Ok, ok, j’ai compris, tu ne viendras pas te plaindre si…
- Promis, je ne me plaindrai pas.
- Euh… c’est bon, je peux parler là ou vous continuez à vous chamailler ?
- C’est bon, désolé pour ça.
- Oui, allez, vas-y la voix, on t’écoute !
- Bien. Donc, comme vous n’avez pas l’air de me reconnaître, je me présente. Je suis Néphraïm, fils de Lucrécia. Et votre frère.
- Quoi ! ne put retenir Christy.
- Encore cette histoire ? Ça n’a aucun sens !
- Peut-être que cela n’a aucun sens pour vous, mais c’est pourtant la vérité.
- Expliquez-nous alors !
- Oui, je le ferai si j’arrive à tenir assez longtemps. Mais il y a plus urgent. Je dois vous mettre en garde.
- Contre quoi ?
- Contre notre mère…
- Quoi ! s’interloquèrent les deux jeunes gens d’une même voix.
- Oui. Ses intentions sont louables, mais ses méthodes discutables. Faites attention.
- Que voulez-vous dire par là ? Expliquez-vous ?
- Je veux parler de…
La voix se tut soudainement.
- Quoi ? De quoi voulez-vous parler ?
Il n’y eut aucune réponse.
- Christy ?
Elle ne répondit pas non plus. Perdu au milieu de l’intense obscurité, le garçon se retrouva seul. Peu à peu, son esprit s’embrouilla et il sombra dans l’inconscience.

Serge se réveilla en sursaut. Assis sur le sol de verdure, il aperçut presque aussitôt Christy qui le regardait avec de grands yeux ronds. Sous les premières lueurs d’orana, Elian les observait tour à tour, inquiète. A la vue du ciel orangé, le garçon estima que la cinquième luxance avait commencé. Pour plus de précision, il saisit sa pierrelle qu’il portait en pendentif. Au contact de sa paume, elle lui indiqua que la treizième nuance était entamée d’une dizaine de fractances. N’intégrant qu’à moitié ces informations qu’il avait consultées plus par réflexe que par nécessité, il se concentra sur les faits qu’il venait de vivre. Etaient-ils bien réels ? Il ne se posa pas la question plus longtemps puisque Christy prit la parole pour l’interroger.

- Tu comprends quelque chose à tout ça toi ?
- Je ne sais pas. Tout ceci s’est réellement passé ? Tu étais vraiment là toi aussi ?
- Bien sûr que j’étais là ! On a même discuté tous les deux !
- Je veux dire. Ce n’était pas un rêve ?
- Vu ta tête, j’ai bien l’impression qu’il t’est arrivé la même chose qu’à moi. Et je n’ai encore jamais entendu parler de rêves partagés !
- Ça signifie que toi aussi tu as entendu ce Néphraïm ?
- Oui, évidemment que…
Mais la jeune fille fut interrompue par Elian qui écoutait la conversation, essayant de comprendre ce dont il pouvait parler.
- Vous avez bien dit Néphraïm ?
- Oui, il me semble que c’est son nom, répondit le garçon.
- C’est bien ça, confirma Christy. Il nous l’a suffisamment rabâché pour qu’on s’en souvienne ! Tu connais ce nom ?
- Oui, confirma la Viera. Et ça ne peut pas être une simple coïncidence.
- Que veux-tu dire par là ? insista Serge.
- C’est le nom d’un des fils de Lucrécia. Celle que je connais dans mon monde.
- Oui, c’est ce qu’il nous a dit.
- Cela confirme donc que la Lucrécia que vous avez rencontrée et celle que je connais est bien la même personne !
- Mais tout ça n’a aucun sens !
- Oui, je ne comprends pas non plus. On avait pourtant conclu que ce n’était pas possible. Mais d’abord, que vous est-il arrivé à tous les deux ? Je n’ai rien compris à ce que vous avez raconté. Néphraïm est venu vous parler ? Je ne l’ai pas senti venir, c’est impossible !
- Je ne suis pas sûr. Mais je crois qu’il est venu nous parler dans notre sommeil. Enfin, je ne pense pas qu’il soit vraiment venu. Ça me rappelle un peu la façon dont Lucrécia m’a parlé la première fois. Il n’y avait que sa voix. Et ce nom. Il m’a appelé de la même façon. C’est comme ça que j’ai compris qu’ils étaient liés.
- Oui, c’est vrai, t’as raison ! Je comprends mieux comment t’as fait pour deviner ! s’exclama Christy.
- Et quels sont ces noms ? demanda Elian.
- Il m’a appelé Hynn.
- Et moi Atalette.
- Hynn, Atalette, Néphraïm… Les enfants de Lucrécia. C’est bien ça, mais pourtant…
- Que veux-tu dire ? fit le garçon, surpris.
- Que ces trois noms sont bien les noms des enfants de Lucrécia. Ils sont très connus dans mon monde. Comme leur mère, ils sont très puissants. Mais pourquoi est-ce qu’ils vous appellent ainsi ? Hynn et Atalette. Ça ne peut pas être vous. Ils ne vous ressemblent même pas. Et de toute façon, ça n’aurait aucun sens.
- Je me demande, intervint Christy, timidement. Peut-être… Peut-être qu’on nous mène en bateau. On cherche absolument à trouver une explication. Mais peut-être qu’il n’y en a pas et que tout ceci est fait pour nous embrouiller ! Peut-être même que ce sont des imposteurs !
- Je ne sais pas, médita Serge. C’est possible mais… pourquoi ?
- Je n’en sais rien, mais souviens-toi de ce qu’il a dit. Il faut nous méfier de Lucrécia.
- C’est vrai, tu as raison.
- Attendez ! Il vous a dit ça ? s’étonna la Viera.
- Oui, expliqua le jeune homme. En fait, il nous a dit de rester sur nos gardes. Apparemment, leurs objectifs sont les mêmes, mais il n’est pas d’accord avec sa façon de faire. Le problème c’est qu’on ne connaît même pas leurs objectifs.
- Et il ne vous a rien dit d’autre.
- Non, il a disparu juste après.
- Mince, tout ça devient de plus en plus compliqué. On ne sait même plus à qui se fier.
- Mais c’est pas vrai, qu’est-ce qu’on fait dans ce merdier ! s’enflamma Serge. Est-ce que quelqu’un va enfin nous expliquer ?
- Calme-toi, modéra Elian.
- Que je me calme ! Vous avez tous ce mot là à la bouche ! Mais comment veux-tu ? Mon frère a été kidnappé par un malade, on est en plein milieu d’une forêt, poursuivis par des types et attaqués par des bestioles monstrueuses. Et maintenant, on reçoit un avertissement contre la seule personne qui semblait être de notre côté. Vraiment, j’vois pas comment rester calme !
- Je sais bien, compatit la Viera, mais pour le moment, la seule chose qu’on peut faire, c’est continuer et essayer de comprendre. Ta colère est normale, mais essaie de la contrôler, elle n’apportera rien de bon à la situation.
- Mouais, t’as raison, s’adoucit-il, toujours sur les nerfs mais se laissant convaincre par ces arguments. Bon, qu’est-ce qu’on fait alors ?
- On continue de suivre la seule piste qu’on a, déclara Christy. C’est ça Elian ?
- Oui, je crois que nous n’avons pas le choix. On va à Rosaria et on rencontre cette femme, qui que ce soit. C’est la seule façon d’obtenir de nouvelles informations.
- D’accord, fit Serge. J’espère qu’elle pourra nous expliquer ce qu’il se passe. Et qu’elle nous aidera à retrouver mon frère !
Elian hocha la tête en signe d’approbation, contente de voir que le jeune homme avait réussi à se calmer si rapidement.
- Oui, on le retrouvera ton p’tit frère, assura Christy.
- Merci, répondit-il, reconnaissant.
- Oh, moi, j’dis ça, c’est juste parce que j’espère que ça te rendra moins grincheux, ajouta-t-elle avec un petit sourire malicieux.

Acceptant la raillerie qu’il trouva même plutôt sympathique, Serge se redressa, imité par ses deux compagnes de route. Rien n’était vraiment éclairci, mais une chose était plus évidente que jamais. Ils devaient absolument rencontrer cette Lucrécia pour apprendre tout ce qu’elle pouvait leur révéler, qui qu’elle soit en réalité. C’est ainsi que débuta orana, la deuxième fluance de leur périple. Bien décidés à atteindre leur objectif, ils reprirent le chemin de Rosaria, une légère bise s’insinuant entre les feuilles de l’ancienne forêt de Mirkwood.