vendredi 26 décembre 2008

Chapitre 4 - Partie 4

---------------
Chapitre 4 : En entrant dans Mirkwood
Partie 4


- Incapable de se régénérer ? Tu veux dire que mon corps ne peut pas être soigné ?
- C’est ça, malheureusement. Ni la médecine classique, ni la magie ne seront capables de panser tes blessures. En tout cas, tant que le poison ne sera pas purifié.
- Et alors, qu’est-ce que l’on peut faire ?
- Je sais qu’il existe des plantes qui ont la faculté de guérir cet empoisonnement. Malheureusement, je n’en sais pas plus et je serais bien incapable de te dire de quelles plantes il s’agit. Il nous faut trouver un purifieur ou qui que ce soit qui pourrait nous aider.
- Mais on ne va jamais pouvoir trouver ça ici !
- Tu as probablement raison. C’est pour cela que je vais te demander de rester le plus prudent possible. Si on nous attaque à nouveau, laisse nous faire, d’accord ?
- Mais je ne peux pas faire ça ! Je ne vais pas rester en retrait à vous regarder combattre sans rien faire ! Et puis vous avez besoin de moi, non ? Tu ne peux que nous protéger et nous soigner, il faut bien que je sois là pour affronter nos ennemis !
- Eh oh, ca va les chevilles, lança Christy. T’es pas tout seul, figure-toi. Moi aussi je suis capable de me battre. Il faut que je te rappelle qui t’a sauvé quand tu étais entouré par les loups ? Et il y a quelques nuances, c’est moi qui ai neutralisé l’abeille en l’aveuglant. Sans moi, tu n’aurais jamais pu l’achever.
- Oui, c’est vrai mais…
- Il n’y a pas de "mais", Serge. Si tu te fais blesser, je ne pourrai rien pour toi, fit la Viera d’un ton sans réplique. Alors s’il y a un quelconque danger, tu restes en arrière, compris ? Je ne veux pas avoir à te transporter sur le dos si tu tombes inconscient au combat. Et je n’ai pas voulu te le dire après que nous ayons achevé cette créature, mais ta manière d’aborder le combat est totalement irréfléchie. Ce n’est pas en fonçant dans le tas que tu réussiras quoi que ce soit. Tu as eu de la chance, mais si tu avais été tout seul, tu ne serais plus là pour entendre mes sermons. Oui je te suis reconnaissante pour t’être interposé entre cette bestiole et moi, mais il faut que tu saches que tu as encore beaucoup à apprendre et que te jeter sur l’ennemi sans réfléchir ne te permettra pas de finir victorieux à chaque fois. Si tu n’apprends pas à te contrôler et à identifier les faiblesses de ton adversaire, tu ne progresseras jamais. Et il faut aussi que tu apprennes le travail d’équipe. Alors la prochaine fois, tu restes en arrière, tu observes et tu n’interviens que si on te le demande. Tu m’as bien comprise ?

Serge avait bien du mal à répondre, assommé par toutes ces réprimandes. Il ne comprenait pas pourquoi elle lui disait tout cela maintenant et il devait bien admettre qu’il n’imaginait pas qu’Elian puisse penser ainsi à son égard. Avait-il été si décevant dans ses combats ? Jusqu’à présent, même si son expérience dans le domaine était toute récente, il trouvait qu’il se débrouillait plutôt bien. Il avait affronté des monstres-loups à Altéa et protégé Elian à deux reprises. La première fois contre cet homme parmi la foule Altéanne et la seconde face à cette abeille tueuse. C’était lui qui avait donné le coup de grâce, alors qu’Elian n’avait pas vraiment brillé par sa présence. Au contraire, elle avait été la victime de cette créature et ne lui avait porté aucun coup. Il ne pouvait nier que Christy l’avait beaucoup aidé, mais cela ne justifiait pas le discours de la Viera. Cependant, il réussit à se contenir. Même s’il ne comprenait pas tout, il savait qu’elle disait ça pour son bien. Il s’était déjà emporté sans raison contre elle une luxance plus tôt, alors ce n’était pas le moment pour se fâcher à nouveau. Et en y réfléchissant un peu plus, elle connaissait bien mieux ces créatures mystérieuses que lui. Ces mises en garde n’étaient sans doute pas futiles. Dorénavant, il ferait plus attention.
- D’accord, j’ai bien compris. Je ferai de mon mieux.
- Très bien. Alors allons-y. Soyez attentifs et ne parlez que si cela est nécessaire. Je vous rappelle que nous sommes recherchés.

Ils reprirent leur route, avançant sans perdre de temps mais soucieux de faire le moins de bruit possible. Jusqu’à présent, Elian avait été comme une louve avec eux, très douce et très protectrice. Mais sa dernière intervention avait révélé aux deux jeunes gens un autre aspect de sa personnalité. Elle avait su se montrer plus autoritaire qu’elle ne l’avait jamais été avec eux et plus franche aussi. Même si Christy n’avait pas été visée, elle prit conscience de la justesse des propos de cette femme aux longues oreilles duveteuses. Peut-être que ses sens aiguisés lui permettaient aussi de ressentir les émotions des gens et d’agir en conséquence. Ou peut-être comprenait-elle mieux la nature humaine que la plupart des humains de son monde. Le fait est que la jeune fille vit en elle une seconde mère qui avait su remettre Serge sur le droit chemin avant qu’il ne s’en écarte trop. Sentant la trop grande assurance qui commençait à envahir le jeune homme, elle avait pris les devants en le mettant en garde contre lui-même. Malgré la rudesse de ses mots, son discours était resté protecteur. Et surtout, elle avait réussi à empêcher que Serge ne s’emporte comme la dernière fois et pour cela, Christy lui en était très reconnaissante.

La progression fut silencieuse mais bien moins pesante qu’ils n’auraient pu le croire. Même s’ils savaient à présent qu’ils étaient recherchés, ils se sentaient beaucoup plus libres dans leur tête maintenant que toute tension dans le groupe était dissipée. Serge se questionnait toujours sur le sens des paroles d’Elian, mais il ne lui en voulait plus. Il avait compris qu’elle faisait tout son possible pour l’aider et qu’il ne pouvait pas lui demander plus que ce dont elle était capable. Restait toujours le problème du poison. Pour l’instant, il n’avait aucune idée de la façon dont il allait s’en débarrasser. Fort heureusement, il ne ressentait aucune douleur et il savait désormais que tant qu’il ne prendrait pas de risques inconsidérés, sa vie n’était pas en danger. Mais il fallait tout de même trouver un antidote le plus vite possible car il avait le pressentiment qu’il aurait besoin de se battre très bientôt et que sans les soins d’Elian, il faiblirait rapidement.

Au fil de leur avancée, la végétation se diversifiait et la faune se laissait plus facilement apercevoir. Le groupe progressait en longeant à bonne distance le sentier qui semblait suivre la bonne direction pour se rendre à Ozarie. En procédant ainsi, ils restaient à couvert tout en évitant de s’enfoncer trop profondément dans la forêt, minimisant ainsi les risques de mauvaises rencontres. Les environs du sentier étaient également moins épais, ce qui n’était pas négligeable pour accélérer la marche. Plusieurs luxances se succédèrent sans encombre. Seule Elian crut entendre des voix au loin, mais elles s’évanouirent presque aussitôt.

Aux environs de 17 lux, Serge commença à ressentir les premiers signes de faim, mais aussi de fatigue. En y repensant, il n’avait rien avalé depuis la mi-flux dernière et cela faisait presque 8 lux qu’ils avaient pénétré dans Mirkwood. Sa vigueur était surprenante et apparemment, il en était de même pour ses deux compagnes. Mais ses ressources n’étaient pas inépuisables.

La pâleur du ciel s’intensifiait, la verdure prenait des teintes pastel et tout le paysage s’affadissait, signe que prima touchait à sa fin. Dans 3 lux, le flux ne rougeoierait plus et toute chose sur Ivalice perdrait ses couleurs durant quelques nuances, laissant le monde baigner dans une blancheur délavée. Puis, timidement, les premières lueurs orangées embraseraient Ivalice, marquant ainsi l’éveil d’orana, seconde fluance du cycle. Ce phénomène avait lieu entre chaque fluance et s’appelait le vide chromatique. Supportant difficilement de vivre dans cette absence totale de couleur, les Ivaliens profitaient généralement de cette période de transition pour dormir. En effet, plus l’on s’approchait de ces quelques instants, plus il était difficile de discerner les formes et les objets qui finissaient par disparaître totalement au cœur du vide chromatique avant de reprendre progressivement leurs couleurs d’origines. Ce laps de temps pendant lequel la vue des êtres vivants défaillait était désigné sous le nom d’achroma et durait environ 4 lux en s’étendant de la dix-huitième à la seconde luxance.

Comme si elle avait lu dans les pensées de Serge, Elian proposa.
- Peut-être pourrions-nous nous arrêter pour manger un petit peu, qu’est-ce que vous en pensez ? Les hommes à notre recherche ne montrent pas signe de vie, on pourrait faire ça dans le coin.
- Oui, pourquoi pas, répondit Christy. C’est pas que j’ai très faim, mais je n’suis pas contre m’arrêter un peu. Ca fait un bout de temps qu’on marche. Tu me diras, j’suis pas vraiment fatiguée non plus, mais ça devient un peu monotone. Et puis j’ai surpris notre cher pyja-gars en train de choper quelques baies sur le chemin, son estomac doit le tirailler horriblement !
Se faisant, elle sortit une framboise d’une de ses poches et la lui lança avec un sourire narquois.
- Attrape, ventre sur pattes !
Bien décidé à ne pas se laisser faire et à ne pas se braquer comme il le faisait souvent, il se prêta au jeu.
- Ventre sur pattes ? Je te reconnais bien là. Faire croire que c’est moi qui faiblis alors que tu traînes les pieds depuis plus d’une luxance ! fit-il sur un ton exagérément agacé. Et je te signale que c’est toi qui a des fruits dans les poches ! Franchement, tu me fais pitié. Je m’arrêterai bien pour te permettre de te reposer, mais ça va me retomber dessus. Alors tant pis pour toi, on continue. Sauf si tu me supplies.
- Ca te plairait bien, hein ? Que je me prosterne à tes pieds, enchérit-elle. Mais ne compte pas là-dessus, tu te trompes sur la personne. Allez, fais pas l’imbécile et arrête-toi un instant pour manger, sinon tu vas nous faire un malaise.
- Ok, de toute façon, t’es têtue comme une mule, j’abandonne. Et puis c’est vrai que je suis fatigué. Fatigué de t’entendre traîner des pieds. Mais Mademoiselle est trop fière pour nous dire qu’elle veut faire un break. Enfin bon, on sait tous les deux ce qu’il en est et tu ne tromperas pas Elian comme ça. N’est-ce pas Elian ?
- Hein, euh, non, je ne sais pas, bégaya-t-elle, n’ayant aucune envie de se prononcer sur le sujet. On va dire que c’est moi qui suis fatiguée, ça vous va ?
La Viera avait suivi l’échange mais n’avait visiblement pas compris le petit jeu qui s’était instauré entre ses deux jeunes acolytes. Redoutant une nouvelle dispute, elle espérait ainsi les raisonner.
- D’ac, on va faire comme ça, approuva Serge. Ca te va Christy ? Si j’étais toi, j’accepterais, c’est à ton avantage.
- Ouais, on va dire ça, mais tu t’en tires bien cette fois-ci. La prochaine fois, tu ne feras pas illusion. On sait tous que tu es une petite nature et que tu es bon à rien sans ta petite collation.

Les deux étudiants se regardèrent et échangèrent un regard complice. Ils savaient tous les deux que cet affrontement n’avait aucun sens et qu’il importait peu de savoir lequel des deux avait le plus besoin de cette pause. Mais ils avaient réussi à être sur la même longueur d’onde et Serge s’était amusé à la taquiner comme elle le faisait avec lui. Il se dit qu’en fin de compte, ils pourraient peut-être s’entendre. Tout en cherchant un endroit où se poser, ils continuèrent à se chamailler, ce qui donna à leur périple un petit goût d’innocence bienvenu.

Même si la fatigue physique était encore largement supportable, il fut bon de s’arrêter pour se reposer l’esprit et avaler quelques fruits. Ils s’étaient éloignés du sentier et avaient trouvé un petit coin agréable où le sol était plat et recouvert de mousse. Ils cueillirent chacun quelques baies et Elian rapporta des champignons qui, même crus, se révélèrent délicieux. Ils n’eurent pas à manger beaucoup pour se sentir rassasiés.

La conversation s’orienta sur Elian, qui leur expliqua ce qu’elle faisait avant de se retrouver parachutée à leur côté. Son occupation principale était la couture. Elle en avait d’ailleurs fait son métier en confectionnant des vêtements pour les habitants de Rabanastre, sa cité. L’habit qu’elle portait était de sa conception et un de ses amis avait enchanté le tissu pour qu’il se déplace de lui-même, évitant ainsi les obstacles. Cela expliquait ce qu’avait vu Serge auparavant et pourquoi Elian progressait si facilement en robe dans cette forêt. Mais depuis quelques temps, avec l’apparition de Jénova, ses pouvoirs de guérisseuse avaient été mis à contribution.

Jénova semait la terreur dans le monde entier et les blessés n’étaient pas rares. Même si ses sorts de soins étaient mineurs, tout le monde était réquisitionné car la situation était critique. L’existence d’une telle créature était inexplicable et personne n’avait trouvé le moyen d’en venir à bout depuis son apparition. Selon Elian, l’arrivée de cette calamité remontait à une cinquantaine de cycles. Les plus puissants combattants s’étaient mesurés à Jénova, mais ceux qui en revenaient vivants tenaient tous le même discours. Rien ne pouvait atteindre cette gigantesque masse immatérielle qui détruisait tout sur son passage. Même le grand conseil, qui rassemblait les êtres les plus sages de chaque race, ne trouvait aucune solution pour mettre fin à ce fléau venu d’on ne sait où.

Une guilde de guérisseurs ou de mages blancs, comme on disait dans son monde, avait été constituée à Rabanastre et Elian l’avait rejointe. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle avait confectionné cette robe blanche à liserés rouges. Il s’agissait du signe de reconnaissance de ces mages. Elle venait de rentrer chez elle, après avoir secouru un soldat blessé qui s’était téléporté dans la guilde de guérisseurs, lorsqu’elle se retrouva propulsée dans les rues d’Altéa, au milieu de cette foule agressive.

En écoutant la Viera, Serge comprit qu’il devenait de plus en plus difficile pour elle de parler de ces événements. Son ton habituellement calme et posé commençait à faiblir. Lorsqu’elle l’évoquait, la terreur de Jénova semblait lointaine. Pour les deux étudiants, cela ressemblait à une leçon d’histoire, relatant des faits biens réels mais dans lesquels il était difficile de se projeter. Cependant, le garçon devina que la réalité était bien plus cruelle que tout ce qu’il pouvait imaginer et quelque chose lui disait qu’Elian ne leur disait pas tout. Tout du moins, il était sûr qu’elle leur épargnait les détails les plus tragiques.

Quel lien reliait cette femme à son monde ? Quelle était cette chose qui vivait en lui et qui dégageait la même aura que cette Jénova ? D’où lui venaient ces pouvoirs et qui était vraiment Lucrécia ? Et pourquoi Diguel l’avait-il trahi en kidnappant son frère ? Toutes ces questions tournaient en boucle au fond de son crâne et en amenaient de nouvelles. Mais il avait beau chercher, aucune réponse ne lui venait. Il en oubliait presque le poison qui avait pénétré son corps mais qui ne se manifestait pas, attendant que son hôte se blesse pour empêcher toute guérison.

Alors que Serge était à nouveau perdu dans ses pensées, il entendit la voix de Christy s’élever.
- Allez, il est temps de repartir. Faut pas traîner si on veut arriver à Ozarie avant la fin d’Azura.
- Non, répondit Elian. Je crois qu’on a le temps. Nous devrions plutôt rester là et nous reposer quelques luxances. Même si vous n’êtes pas très fatigués, mieux vaut être au maximum de notre forme pour continuer.
- T’es sûre qu’on a le temps pour ça ? questionna Christy.
- Oui, nous avons bien avancé. Je pense qu’à ce rythme, nous devrions même arriver avec une fluance d’avance.
- Peut-être, intervint Serge, mais plus tôt nous arriverons, mieux ce sera. Je te rappelle qu’il faut aussi que nous retrouvions mon frère. C’est même une priorité ! Dès que nous serons à Ozarie, il faudra nous renseigner pour retrouver leurs traces.
- Tu as raison, mais j’insiste. Il est préférable de prendre quelques luxances de sommeil avant de repartir. Nous avancerons d’autant plus vite si nos corps sont bien reposés. De plus, l’achroma approche et il va devenir de plus en plus difficile d’avancer si on ne voit pas bien où l’on met les pieds. Et il en est de même en cas d’attaque. Mieux vaut rester dans un endroit que l’on a clairement identifié, ce sera beaucoup plus aisé pour nous défendre.
- Ok, c’est compris, fit Serge, résigné. Mais on repart le plus tôt possible demain matin. Il ne faut pas perdre de temps.
- J’suis d’accord moi aussi, dit Christy. Si vous voulez, j’peux rester éveillée pour surveiller le camp. Il ne faudrait pas qu’on nous trouve pendant qu’on pique un roupillon ! Et puis je suis en forme, y’a vraiment pas de souci là-dessus.
- Non, ce n’est pas la peine Christy, objecta Elian. Nous pouvons tous les trois dormir. Mes sens me permettent de rester sur mes gardes même pendant que je dors. Je pense même sentir le danger avant toi, que tu sois éveillée ou non.
- Ok, je disais ça pour aider moi. Mais ça à l’air vraiment cool d’être une Viera ! Merci Elian, j’sais pas ce qu’on ferait sans toi !
- Oui, merci Elian, ajouta Serge, véritablement reconnaissant pour toute la protection qu’elle leur apportait.

Alors que l’achroma tombait sur leur petit camp, chacun se mit à l’aise du mieux qu’il put pour profiter autant que possible de ces instants de repos. Une fois allongé, le garçon s’aperçut qu’il était bien plus fatigué qu’il ne le croyait. La tête remplit de questions, il réussit à trouver le calme, songeant aux bons moments partagés avec son frère disparu. Puis il pensa à ses parents. S’étaient-ils aperçus de sa disparition ? C’est sur ces dernières interrogations qu’il sombra définitivement dans le sommeil. Il ne se doutait pas qu’un nouveau mystère viendrait troubler ses rêves agités.